vendredi 24 juin 2011

Peter Falk est mort un Vendredi

Peter Falk (16 Septembre 1927 - 24 Juin 2011)
Comment croire à la mort de Peter Falk un Vendredi ? Jour de la diffusion hebdomadaire d’un épisode de Columbo sur une chaine de télévision, jour des retrouvailles, tantôt décevantes, tantôt jubilatoires, avec un lieutenant connu du monde entier (deux milliards de téléspectateurs depuis 1971). Beaucoup diront que Peter Falk n’était pas que Columbo, et ne citeront comme autres performances que Husbands, Une femme sous influence ou Les Ailes du Désir, comme si ce merveilleux rôle était ingrat, gênant parce que populaire. Il livra pourtant, entre 1968 et 2003, une prestation sans cesse renouvelée, approfondie, précise et marquante. D’autres diront que le succès de la série en France est dû à sa voix de doublage, elle aussi merveilleuse, en parfaite adéquation avec le corps du personnage. Serge Sauvion, dont la mort n’a presque pas été relayée par les médias, en 2008, a donc réussi à coller au corps du personnage, dans un tango éternel, pour ne plus jamais le quitter.
Si ce personnage a tant intrigué, c’est au départ pour sa méthode. La première apparition du lieutenant date de 1968, mais elle ne se fait pas dans le cadre de la série Columbo sinon dans un téléfilm, adaptation d’une pièce de théâtre. L’œuvre, honnête thriller hitchcockien, s’attache principalement au criminel qui a peur d’être pris. Pourtant, Prescription : Murder est bancal, et c’est ce qui fait son intérêt. Le lieutenant Columbo, moins présent que le meurtrier, marque davantage le spectateur. La remarque est facile lorsque l’on découvre l’épisode en 2011, mais, en faisant abstraction du mythe du personnage, ce dernier n’est pas commun. Ses questions sont particulières, décentrées : le lieutenant semble distant de son enquête, et échappe au sérieux qui devrait lui être accordé. Le déséquilibre du téléfilm servira de marque de fabrique à la future série Columbo, qui débute trois ans plus tard, dans un épisode réalisé par Steven Spielberg, alors inconnu[1]. Le meurtrier est connu d’avance (à l’exception de très rares épisodes), et l’introduction du milieu, du mobile et de la victime du meurtrier prend une proportion démesurée, faisant languir le spectateur qui ne souhaite voir qu’une seule chose : l’enquêteur. Cette fois-ci, le lieutenant change d’apparence, son complet étant troqué pour un imperméable sale, et sa coiffure classique par des cheveux hirsutes.
Le personnage est là, ses réflexions avec la femme de la victime amusent tant elles sont mal venues (Columbo se vante d’être le meilleur cuisinier du monde, alors que la femme cherche désespérément à avoir des nouvelles de son mari, dont le corps reste introuvable). Cet amusement du spectateur est évidemment renforcé par l’agacement des personnages auxquels il s’adresse. Le génie de la série vient du rejet du whodunit[2], mais surtout de ce personnage purement burlesque, qui n’est jamais là où il faut. Le second degré de la série mettra d’ailleurs en scène, à plusieurs reprises, le lieutenant sur des plateaux de cinéma ou de télévision, où il est d’abord rejeté par des assistants impulsifs et, parfois, confondu avec des figurants déguisés en sans-abri.
Peter Falk était borgne depuis son plus jeune âge. Soit. Il allait transcender ce handicap pour nourrir son personnage d’un regard unique, collant, décalé. Le rythme de Columbo était différent du milieu qui l’entourait. Il pouvait par exemple trouver le mobile du crime en regardant un film dans le salon de la criminelle, elle-même actrice du film qui allait la trahir.
L’un des plus poignants épisodes de la série est sans doute celui mettant en scène Janet Leigh, légendaire Marion Crane dans le Psychose d’Hitchcock, qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer, et qui oublie donc qu’elle a tué quelqu’un. L’épisode date de 1975, et le fait de savoir que l’acteur est probablement décédé de cette maladie, en ayant oublié jusqu’au rôle qui l’a rendu mondialement célèbre, provoque un vertigineux sentiment de pitié.
Peter Falk peut-il vraiment mourir ? La notoriété du personnage qu’il a si bien incarné (d’autres acteurs, dans les années 1960, l’avaient interprété, mais seul l’acteur l’a incarné), au point d’être retenu du public par ses mimiques, ses phrases, sa Peugeot 403, son chien ou son imperméable, ne pourra jamais s’éteindre. L’annonce de sa mort a sans doute donné lieu à des imitations amusées plus ou moins habiles de notre entourage (ou, avouons-le, de nous-même), et si les épisodes vus jusqu’alors laissaient espérer une longue vie à ce magnifique acteur, ceux que nous verrons dès aujourd’hui provoqueront un triste sentiment, le deuil, et un autre, intact et moins amer, l’admiration.


[1] Exception faite du pilote de la série.
[2] Forme du genre policier, méprisée par Alfred Hitchcock, qui consiste, pour le spectateur, à trouver le coupable au fur et à mesure de l’enquête.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire