mardi 6 septembre 2011

L'Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz

Sortie le 16 Novembre 2011.


Mathieu Kassovitz est un cinéaste. Pas un bon cinéaste, pas un mauvais cinéaste. Il le prouve simplement, dans les premières minutes de son nouveau film, par un effet déroutant, qui peut et qui doit perturber le spectateur, afin de mieux lui faire comprendre les possibilités (aussi infimes soient-elles) du cinéma. Le capitaine Legorjus annonce à l’un de ses hommes, devant un avion prêt à partir pour la Nouvelle-Calédonie, que son père a été blessé durant une opération. Les deux hommes sont au premier plan, nets, de profil. Nous entendons leur dialogue. Puis la focale s’agrandit de telle sorte que le premier plan devienne flou, permettant à deux autres gendarmes, à l’arrière plan, d’être nets à l’image. C’est à ce moment précis que nous pouvons entendre ce qu’ils disent, alors qu’ils sont à une vingtaine de mètres de la caméra. Un tel effet peut paraître superficiel, insignifiant, peu à même d’être évoqué au sujet de L’Ordre et la Morale. Il révèle pourtant très vite que le film est et sera pensé, mis en scène, mais aussi que Kassovitz ne se laissera pas porter par un sujet historique, n’oubliant nullement ce pacte tacite avec le spectateur plongé dans le noir : nous ne sommes pas au théâtre, mais au cinéma, art de la perspective et du relief.
Une fois cette mise au point accomplie, le film peut s’offrir à nous, puisqu’implicitement, nous savons. Et il ne faudra pas plus de vingt autres minutes (sur les deux heures et quart du film) pour être conquis. Un plan-séquence jubilatoire présente les faits qui ont amené des membres du G.I.G.N. sur l’île d’Ouvéa, et qui nourrissaient jusqu’alors les idées les plus folles, les plus macabres. On racontait  que des indépendantistes kanak avaient attaqué une gendarmerie en décapitant et en violant sur leur passage. John Ford faisait dire à un de ses personnages : Lorsque la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. Ici, la légende du kanak sauvage n’est « belle » que pour l’armée française et le pouvoir, puisqu’elle les enfonce dans un manichéisme confortable, en pleine période d’élections présidentielles[1]. Cette légende, dans laquelle les gendarmes – et le spectateur – vivaient, est donc balayée en un seul plan qui conjugue la présent du récit et le passé des faits (trois blessés et deux morts), arrivant à faire disparaître le capitaine Legorjus et un témoin de la scène, à dénombrer précisément le nombre de coups de feu tirés, la stratégie des kanak, et surtout, à nous faire entendre le souffle d’Alphonse Dianou, chef des preneurs d’otages, affolé par l’ampleur de son action. Au-delà de la virtuosité de la mise en scène, Mathieu Kassovitz parvient surtout à capter l’effroi succédant au coup de feu, le silence coupable après le cri.
Le capitaine Legorjus, personnage principal du film, est à la croisée de deux genres cinématographiques, et c’est sans doute ici que le film trouve sa plus grande richesse. Négociateur, il est plus à l’aise dans le thriller que dans le film de guerre. C’est tout le sens du titre : l’ordre, incarné par le pouvoir et l’armée de terre, et la morale, soutenue jusqu’au bout par les gendarmes et les kanak. Legorjus confesse même se sentir inutile face à cette situation où il est contraint de prendre les armes et de trahir sa parole. Les vagues références à Apocalypse Now appuient ce malaise ; le film de Coppola est sorti neuf ans avant les événements d’Ouvéa, et s’il n’intéresse pas Kassovitz réalisateur, il semble affecter inconsciemment le personnage qu’il incarne, et évidemment le spectateur. Par le motif de l’hélice, Legorjus voit aussi le temps qui passe, et l’urgence de la situation est constamment rappelée dans le film par un ultimatum liant les avancées des négociations avec les kanak. Par la voix-off, qu’il ne faut pas seulement assimiler à la forme du film dans ce cas précis, mais surtout à la conscience d’un personnage en quête de maxime (qui marquera plus d’une personne en salles) pour son triste apologue.
L’Ordre et la Morale rappelle également La Ligne Rouge de Malick, en montrant un ennemi invisible, qui peut être derrière un arbre, sur une branche, sous un feuillage. Cette tension qui alourdit les premiers pas hésitants des gendarmes est d’autant plus forte que le terrain est inconnu, tout comme l’ennemi. Si Malick évoquait la guerre du Pacifique, où le dialogue semblait impossible (pas de négociation à Guadalcanal), Kassovitz s’attache à filmer le dialogue, la médiation possible entre deux hommes (Legorjus et Dianou) que la propagande veut séparer. Mitterrand insistait durant le débat télévisé sur l’importance du dialogue avec le peuple kanak, alors qu’au même moment, il avait signé l’ordre d’assaut prévu le lendemain. Dans le plan-séquence de l’attaque de la gendarmerie, le souffle d’Alphonse Dianou était audible. Durant l’assaut final, c’est celui de Philippe Legorjus qui lui fait écho. C’est cette certaine idée du dialogue (dans la douleur) qui est ironiquement reprise par Mathieu Kassovitz. Deux hommes et un même souffle durant une bataille : celui de la peur et du regret.


[1] Le film retrace la prise d’otages de trente gendarmes sur l’ile d’Ouvéa, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988, qui voit s’opposer le Président Mitterrand et Monsieur le Premier Ministre Jacques Chirac.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour, vos textes sont mal affichés. l'écriture blanche sur fond rouge fait très mal aux yeux en créant une rémanence; ça ne donne pas du tout envie de lire le texte. j'ai abandonné après 5 lignes...

Other / De l'autre a dit…

C'est vrai pour les couleurs, parce que le rouge est une couleur qui rapproche et le blanc une couleur qui n'a pas de rapport de distance à un fond. Ceci étant dit, pour d'autres raisons, j'éprouve à la fois un plaisir et une déception à vous lire : d'abord vous faites partie des rares personnes qui ont rédigé une critique qui aient approché ce film où il se construit, et en même temps sans lui attribuer de sens. Donc ce qui est un indice par exemple les sons, et plus particulièrement les deux souffles que vous relevez, qui donnent un fil à suivre sur la construction du langage, vous n'allez pas jusqu'au bout de l'interprétation sémiotique au-delà de l'effet, puisqu'il s'agit d'un langage sensible qui installe le passé dans le temps réel alors qu'il s'agit de la métaphysique des film -- un film sur la trahison, tous les niveaux de la trahison, tous les personnages et les situations en sont porterurs, même Diallo à partir du moment où il rate l'action sur les gendarmeries... et évidemment finir sur celle de Legorjus est exactement ce qui installe la puissance des séquences de jungle de l'assaut. La trahison comme perte de la nature. La dévoration de l'espace par le temps. Le temps réel ici encore est un questionnement sur l'esthétique du temps au cinéma, comme dans Assassins, le temps réel situé dans la durée du récit, émergent dans la scénographie presque théâtrale (comme dans La Haine), où ce sont les dialogues et la liberté que l'autre, de Next, appelle à tort pédagogique, de faire dérouler deux moments en même temps (l'actualisation de l'attaque de la gendarmerie, les dialogues implicites entre les membres du GIGN pendant l'assaut, qui remplacent le flash back, tout en renvoyant au film depuis son déhut et à la complexité contradictoire entre les trahison -- entre le GIGN l'État et l'armée par ex. "Le 11è nous tire dessus" mais quoi de plus siple ? seulement voilà c'est le langage entre le film et le spectateur qui suppose un tel dialogue en réalité rétrospectif des raisons de la situation finale, fatale, etc. et donc un contenu implicite)... Quand ceux de la génération qui vous précède ne comprend décidément plus rien au cinéma qui pour eux n'est plus qu'une somme d'effets ou une narration (je pense à Bruno Icher dans Libé Next par exemple, sauf l'information du contexte historique c'est absolument lamentable).

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