mardi 8 décembre 2009

Esthétisme de Jean-Luc Godard (1959-1966)

Une réalisation tardive
Jean-Luc Godard met du temps à réaliser des films...Il observe ses amis, Rivette (avec lequel il participe à la production de Paris nous appartient, film où il tient un petit rôle), Truffaut, Rohmer et Chabrol. Il est admiratif mais jaloux de Resnais qui, en 1958, devance les Jeunes Turcs avec un immense chef-d’œuvre, Hiroshima mon amour. A lui de créer l'événement, après un autre chef-d’œuvre, Les Quatre Cents Coups. Son premier long-métrage, A Bout de Souffle, est une véritable révolution dans la manière de traiter un récit...
Voici à présent quelques faits, tous indépendants les uns des autres, à propos de l'esthétisme des films de Jean-Luc Godard.
Rêve de fuite, fuite du rêve...
Dans À Bout de Souffle, Michel Poiccard recherche la liberté par la fuite. Mais il la trouve sans le savoir au tout début du film ; il vole une voiture à Marseille, tue un policier et cavale jusqu’à Paris. C’est cette cavale, dans l’espace utilisé pour celle-ci que se trouve sa liberté (cf. la scène où Poiccard court dans un champ, avec sa chemise blanche qui accentue un contraste avec le noir dominant du paysage).
Cette scène peut d’ailleurs être comparée à la séquence de la fuite d’Antoine dans Les 400 Coups ; Doinel s’échappe : il court vers le bord cadre droit alors que Poiccard fuit vers le bord cadre gauche… Cette opposition entre Godard et Truffaut trouve pourtant son point commun dans cette fuite, cette recherche de la liberté. En effet, Poiccard et Doinel cherchent la liberté sans jamais la trouver et pourtant, ils courent. La liberté se trouve justement dans la distance qu’ils parcourent et leur inconscience se révèlera être relativement fatale pour les deux personnages.
Le générique du Mépris
Le générique du Mépris rend doublement hommage à André Bazin. Il y a la fameuse citation : Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. Mais également l’utilisation du plan-séquence, reniée par Godard qui privilégiait le montage. Cet hommage au Cinéma en est aussi la définition même par opposition à la littérature : ici, pas de mots inscrits si ce n’est le titre, emprunté à…un livre. Godard a compris ce que incluait le mot Cinéma : l'image et le son. L’équipe technique du film est vue, alors qu'une voix-off (qui n'est pas celle de Godard) énumère les différents participants à ce chef-d’œuvre…Mais cette présentation orale n’est pas nouvelle car Guitry l’utilisait également pour ses films (pensez au Roman d’un tricheur par exemple).
Le Petit Soldat ou la synthèse esthétique des apports de la Nouvelle Vague
Les huit premières minutes du Petit Soldat résument ce que la Nouvelle Vague a apporté dans le paysage cinématographique français d’un point de vue esthétique.
1) Annonce du titre uniquement, pas de générique : L’œuvre, mademoiselle, pas les auteurs. Jean-Luc Godard dans Histoire(s) du Cinéma (1988-1999)
2) Mouvement de caméra rapide, panoramique filé, sorte de représentation de la liberté, de la jeunesse, d’un mouvement fougueux et enthousiaste.
3) Dialogues crus, réalistes, proximité avec les protagonistes, les moments de vie sont imprimés 24 fois par seconde (La photographie, c’est la vérité, et le Cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde. Michel Subor dans Le Petit Soldat (1960)) : Vous êtes chiante (…) Je te parie 50 dollars que tu auras envie de la baiser (…) Non ! Ca m’emmerde !
4) Voix off, qui témoigne d’un recul avec l’histoire. Quintessence du récit, le narrateur est en retrait, se démarque de la personne qu’il a pu être lors de l’histoire : J’étais alors très jeune et très con. Michel Subor dans Le Petit Soldat (1960)
5) Montage très approximatif, faux raccords, non respect de la loi des 180°. Volonté de ne pas faire de Cinéma mais de faire la Vie, au détriment de règles à respecter.
Bandes-annonces des longs-métrage de Jean-Luc Godard
Les bandes-annonces des films de Jean-Luc Godard sont presque toutes similaires ; elles annoncent les éléments principaux du film avec des noms communs sans ne rien dévoiler sur l’histoire. Lorsque l’on voit la bande-annonce après avoir vu le film, on a l’impression que tout est dévoilé et si quelqu’un voit la bande-annonce avant le film, il aura l’impression qu’on lui présente un long-métrage hétéroclite (par ailleurs, la bande-annonce de J'ai toujours rêvé d'être un gangster de Benchétrit utilise ce type de présentation).
Double énonciation de Masculin/féminin:
Dans Masculin/féminin de Jean-Luc Godard, l’avant dernière séquence du film est magnifique : c’est la plus belle double énonciation de l’Histoire du Cinéma.
De Janvier à Mars, je continuais à poser des questions pour le compte de l’Ifop.
Le personnage de Paul, joué par Jean-Pierre Léaud, s’exprime en voix-off…C’est également Godard qui expose ses idées. Remplaçons pour le compte de l’Ifop par pour le compte du Cinéma. Supprimons De Janvier à Mars
Suivent tout un tas de questions qui pourraient s’apparenter à des sujets, des problématiques de films, deux d’entre elles concernent Masculin/féminin : Pour ne pas avoir d’enfant, vous préférez avaler des pilules ou vous mettre un truc dans le sexe ?(…) Vous savez qu’il y a la guerre entre les Irakiens et les Kurdes ? Cette dernière question peut être rectifiée puisque dans le film, elle concerne le Vietnam…
Peu à peu, au cours de ces trois mois, je m’aperçus que toutes ces questions, souvent, loin de refléter une mentalité collective, la trahissait et la déformait.
La Qualité Française est ici très implicitement dénoncée… Les sujets choisis sont mauvais, et feignent d’être proche du public.
A mon manque d’objectivité, même inconscient, correspondait en effet la plupart du temps un inévitable défaut de sincérité chez ceux que j’interrogeais.
Le manque d’objectivité est celui de la Qualité Française, les films ne sont pas assez engagés. L’engagement était banni depuis 1945, date à laquelle s’est forgée une épaisse couche de silence. Si une « tête » dépassait cette couche, elle était immédiatement « décapitée »…C’est ainsi que Jacques Rivette est venu, avec deux boucliers, deux armes de défense : Les Cahiers du Cinéma et la jeunesse, laquelle a le droit légitime de renier ses parents, qui ont perdu toute crédibilité avec la Seconde Guerre Mondiale…

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