Bassidji est un film qui soulève des interrogations sur la place du documentariste auprès de ceux qu’il filme. C’est dans un petit café parisien que Mehran Tamadon, le réalisateur, a accepté de discuter de l’œuvre. Il avoue que Rithy Panh[1] l’a inspiré (Lui fait ses films quand c’est fini, quand ils ne sont plus au pouvoir), que le film est fragile mais que c’est ce qui fait son intérêt, qu’il est obsédé par ces questions de discours et de pouvoir, qui sont deux thèmes importants de Bassidji.
L’entretien est cordial, Tamadon ne manque pas d’humour et a su clarifier la mentalité iranienne, avec des souvenirs de tournage et des exemples concrets. Pédagogique, à l’image de son film.
Les quatre Bassidji se sont-ils vus dans votre « miroir cinématographique » ? Si oui, s’y sont-ils reconnus ?
Oui, ils l’ont vu. Nader est déçu. Il trouve que je ne l’ai pas manipulé mais je ne défends pas sa philosophie.
Ils ne se sont pas reconnus… Pour eux, il n’y a qu’une vérité, la leur, et ils n’acceptent pas que tu « craches dans la soupe ».
Vous êtes iranien mais avez vécu longtemps en France. Etiez-vous perçu comme un occidental par eux ?
Je me suis toujours présenté comme quelqu’un qui vit en France. La culture iranienne est une culture où l’on peut communiquer par notre présence et pas par ce qu’on dit. Le tournage a duré dix-neuf mois. Je me suis concentré autour de cérémonies, la méthode était pratique : ne rester que dans un lieu, pour que les gens s’habituent à la caméra. Au début, on me prenait pour quelqu’un de la télévision iranienne !
Le dispositif de la « grande séquence » du film, celle de la confrontation entre les quatre Bassidji et vous, est très intéressant. Vous confrontez les Bassidji aux témoignages d’Iraniens anonymes…
Oui, et j’ai une anecdote à propos de ça… Je voulais dormir, j’étais allongé, les yeux fermés, et un iranien me raconte comment un Bassidji a abusé de son pouvoir sur lui. J’ai gardé exprès les yeux fermés. C’était très fort parce qu’il n’y a que le son. Voir et ne pas aller voir.
Ce n’est donc pas un hasard si vous êtes ici réalisateur et preneur de son. Vous auriez pu vous mettre en scène, en vous mettant dans le champ, mais cela aurait dénaturé Bassidji. Votre image dans le film est intelligemment travaillée, vous ne décidez d’apparaître clairement qu’à deux reprises : avec Nader, à la fin, pour tenter un dialogue, et avant, avec des femmes voilées, dans un musée…
D’ailleurs, c’est après cette séquence que les cassettes ont été saisies. C’était pas méchant, mais j’étais vu comme un agitateur.
Et le film, qui risquait vraiment de virer au film de propagande malgré vous, prend de l’ampleur grâce à votre présence, dans le champ et hors-champ…
Oui, ma présence augmente. L’objectif n’était pas le même au début et à la fin du tournage[2]. Au départ, ma visée était plus anthropologique. Le spectateur peut regarder et analyser de manière très différente la première séquence du film par exemple… A partir du moment où l’on pose une question, il y a une obligation d’intervenir. Les Bassidji ont une conscience de l’image. Mes interventions sont progressives parce qu’il fallait trouver la juste distance entre eux et moi.
Absolument, et vous avez eu l’intelligence de ne pas entrer dans le champ, avec eux, assis derrière la table, alors qu’ils vous le demandent clairement…
C’était très symbolique.
Alors qu’au contraire, dans la séquence suivante, vous vous exposez dans le film, au musée avec les femmes voilées, et vous rigolez avec elles…
J’avais la volonté de changer, de casser le rythme du film. Après le lourd dispositif de la séquence précédente[3] Il fallait contrebalancer tout ça, équilibrer les choses.
Le film sort le 20 Octobre dans trois salles, et il a été présenté à de nombreux festivals (Visions du Réel, Etats Généraux du film documentaire à Lussas, Festival International du Film à Toronto et Doc Lisboa en 2009, Rencontres du cinéma documentaire à Montreuil en 2010). Quelle est la réaction du public ?
Les gens posent beaucoup de questions après le film. Ils restent et ont besoin d’en parler.
Propos recueillis à Paris, le 19 Octobre 2010.
A la fin de cet entretien, Mehran Tamadon affirmait que le film l’obsédait, même s’il en est déjà au suivant. On suivra avec un grand intérêt les prochaines pérégrinations de ce cinéaste très prometteur, honnête et subtil, qui semble s’inspirer avec Bassidji de la phrase de Godard : Posons de nouvelles questions pour avoir de nouvelles réponses.
Remerciements à Katell Fouquet d’Aloest Distribution, sans qui la rencontre n’aurait pas été possible.
[1] Réalisateur entre autres de S21, la machine de mort Khmère rouge, qui filme la rencontre, vingt-cinq ans après, des bourreaux avec leurs victimes rescapées.
[2] Où il s’est écoulé un an et demi.
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