vendredi 3 septembre 2010

Bassidji de Mehran Tamadon

Sortie le 20 Octobre 2010.





L’à priori est négatif. Mehran Tamadon voulait instaurer un dialogue entre les Bassidji, soutiens citoyens et religieux de la République Islamique iranienne, et lui, intellectuel iranien athée vivant en France. Si une telle ambition semblait malhonnête parce qu’impossible ou utopique, il fallait simplement voir le film pour être catégorique. Les situations historique, religieuse, politique et géographique nous sont présentées, sans que l’auteur n’émette la moindre réserve sur les sophismes des Bassidji. Il les laisse parler, pour tenter de les comprendre certes, mais sans pour autant engager le dialogue. En retrait, souvent hors-champ, Tamadon laisse faire, et semble perdre le contrôle de son œuvre… Jusqu’à ce qu’un Bassidji interpelle le cinéaste, en livrant à l’écran la même réflexion qui nous anime depuis le début : pourquoi rester silencieux ? Deux solutions selon ce jeune militant : la peur de vexer, ou bien la volonté de cacher son jeu, ses intentions.
Les intentions, Mehran Tamadon ne les cache pas dans sa note d’intention. Seuls les moyens entrepris pour permettre à celles-ci d’être réalisées le sont. Il ne va ainsi pas chercher d’explications (pas tout de suite en tout cas) et laisser parler ceux qu’il veut comprendre pour ne pas déformer leurs propos (par une question trop incisive). A l’inverse de Michael Moore, gauchiste à la bonne conscience, qui va pratiquer le « rentre-dedans » pour prouver aux spectateurs que ses interlocuteurs sont idiots ou sans âme (et ce, sans se poser de questions sur sa propre nature, pas si différente de ceux qu’il prétend combattre), Mehran Tamadon va étudier celui qu’il ne comprend pas, en respectant les irrespectueux, et en leur laissant une tribune libre pendant près d’une heure. Jeu dangereux. Ce qui pourrait passer pour un manque de réplique aux yeux de tous n’est en fait qu’un long silence contemplatif, à l’image du plan d’ouverture, où ce qui est matériel, animé (femme, homme, enfant, drapeau), finit par n’être plus que formes qui se meuvent devant l’horizon infini filmé[1].
Ce fameux dialogue que l’on espérait tant arrive enfin, et Tamadon décide d’exposer, sincèrement, sa vision des choses. Confronté à quatre Bassidji, il fait le choix de rester hors-champ. Maître absolu de la séquence, il présente, par le biais de petits textes qui apparaissent en bas à gauche, chaque personne invitée à la table. La caméra filme, le silence est de mise, l’impatience et l’agacement se font sentir. Lorsque l’un d’entre eux se décide enfin à demander ce qui se passe, le réalisateur explique sa volonté de présenter un texte explicatif dans le champ, alors que sa main fait irruption à l’endroit même où le texte est apparu. Maître, il l’est aussi par la tournure de la séquence, la seule qu’il est certain de pouvoir orienter. Avec des haut-parleurs reliés à un ordinateur portable, il sélectionne des questions d’iraniens anonymes dont l’esprit se rapproche plus de Tamadon que des Bassidji. Le cinéaste ne se permet d’apparaître dans le champ que pour envoyer une question, en pressant une touche de son clavier avant de regagner sa place. L’un des Bassidji demandera d’ailleurs au réalisateur de venir dans le champ, auprès d’eux, mais celui-ci, bien conscient de ne pas faire partie de leur mouvement, refuse, préférant laisser les hommes seuls dans le champ, face à leurs propos… Aux questions d’iraniens succèdent celles de Tamadon, qui rebondit sur les propos enregistrés concernant le regard de ces hommes, qui baissent les yeux lorsqu’une femme leur parle. Discussion sur le désir et les pulsions interdites, ceux qui s’autoproclament purs sont peut-être plus dérangés encore que ceux qu’ils dénoncent (les occidentaux). Le cinéaste propose l’idée de maîtrise de soi, lorsque l’on parle à une femme, et le dialogue se perd.
Il en est de même vers la fin du film, lorsque Tamadon décide de se mettre en scène, ou de se mettre dans le champ, aux côtés de Nader, un Bassidji qui a connu la Révolution avec Khomeyni. Seuls, face-à-face, ils s’expliquent. Si la séquence est à la fin du film, il y a fort à parier qu’elle a été filmée au début du tournage tant ce que dit Nader cristallise le sens du film. Il explique en effet que le réalisateur est un miroir pour lui. Il le reflète tel qu’il est, sans grossir ni amoindrir ses défauts. Aussi, il fait face à celui dont il est sensé renvoyer l’image. Lorsque les questions sont trop impertinentes, Nader crie au hors-sujet. Le procédé est alors le même qu’au début du film. Le cinéaste s’efface, car le discours officiel se substitue au dialogue. N’étant plus dans le champ, Tamadon répond sans parole, en raccordant le plan initial des deux hommes à un plan plus rapproché, du Bassidji, seul, s’énervant, voulant séduire avec hargne, concessions et autres procédés rhétoriques. L’excellence du cinéaste, qui répond avec un raccord à défaut d’un accord, brille une fois de plus dans ce film qui prouve, si besoin est, qu’un film documentaire est un miroir magique, où sont présentés des êtres dans leurs contradictions mais avant tout dans leur exactitude.


[1] Ce qui se révèle être en fait la frontière irano-irakienne.

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