samedi 7 novembre 2009

2046 de Wong Kar-Waï

2046 est réalisé après le triomphe de In The Mood For Love en 2000, film qui consacre le réalisateur sur l’échiquier des plus grands cinéastes contemporains. Présenté in extremis au Festival de Cannes en 2004, le film déçoit une large partie de la critique, reprochant par exemple au long-métrage de n’être qu’un remix (sexué, c'est pas trop tôt) de son hit chochotte 2000, "In the Mood For Love", selon Libération. Evidemment, il n'en est rien. L'une des raisons de cet acharnement éhonté est certainement la trop longue attente suscitée par cette oeuvre, la projection à Cannes risquant d'être interrompue à tout moment, puisque certaines bobines n'étaient pas arrivées une fois le film commencé...Sorti un an après le suicide de Leslie Cheung, il est un véritable tournant dans la carrière de Wong. En effet, son acteur fétiche, présent dans plusieurs de ses films, était en quelque sorte son double à l'écran, son Jean-Pierre Léaud. Ici, Tony Leung, ayant déjà cotoyé Cheung dans le médiocre Happy Together, incarne le personnage principal de2046, un homme devant faire face à un "deuil", une perte, celle de son amour, par l'écriture. Le réalisateur essaye donc de faire prendre conscience au spectateur de la difficulté de retrouver ses « souvenirs perdus » intacts. Effectivement, si les souvenirs sont dits « perdus », ce n’est que matériellement. L’imaginaire et l’inconscient de Chow (le possible double de Wong Kar-Wai si l’on substitue la littérature au Cinéma) développent, à partir de « morceaux de souvenirs » une idée, un sujet, une réflexion chère à son auteur qui lui permettra de surmonter une épreuve paralysante tant qu’elle ne sera pas résolue. Ainsi, si Wong surmonte la mort de Leslie Cheung, c’est grâce à 2046, le film qui lui permet d’exorciser ses angoisses liées à la mort de son ami. De même que Chow surmonte ses difficultés sentimentales et financières grâce à l’écriture de son roman 2046. Wong Kar-Wai s’attache à développer deux univers temporels, et donc esthétiques. La première temporalité présentée au spectateur est celle du futur, en l’an 2046. La ville, futuriste, pouvant rappeler laMétropolis de Lang, est représentée en images de synthèses. La comparaison avec le film du cinéaste allemand n’est pas anodine ; tout comme lui, Wong divise sa ville en deux : les couleurs chaudes des hauteurs et les couleurs froides des profondeurs. Le vœu d’utiliser le rouge dans le wagon du train permet un rapprochement entre le spectateur et les personnages et entre ces derniers. Le jeune japonais fuyant 2046 cherche aussi la chaleur, uniquement possible grâce à l’attraction des corps. La seconde époque du film, omniprésente, est celle des années 1960 à Hong Kong. Le cinéaste a en effet vécu une partie de son enfance là-bas et c’est certainement une motivation, inconsciente ou non, de renouer avec cette période troublée de son existence, les problèmes de langage et de compréhension, qui se manifestent dans 2046 par de discrètes réminiscences, sous forme de musiques ou de personnages perdus pour ne pas parler de souvenirs perdus. Les scènes de voyeurisme, où Chow observe ses voisins, en particulier la fille du propriétaire, sont dominées par des couleurs froides (le jaune et le vert en particulier), pour qu’elles éloignent l’objet regardé du regardant. Certaines images sont déformées : dès lors que Chow se met à écrire et à développer son imagination, Wong étire l’image car le personnage « étire » son imagination. L'immense performance de Christopher Doyle, le chef opérateur du film (uniquement pour la période du XXe siècle) mérite d'être saluée. Tout est langage audio-visuel dans ce trésor cinématographique, à l'image du premier champ/contre-champ entre Chow et Su Li-Zhen, les transgressions de la ligne des 180 degrés servent le discours du cinéaste, et se répercutent dans le cerveau avant de toucher le coeur, pour citer Bergman. L'audace de mélanger les langues (le chinois cantonais, mandarin avec le japonais) n'est pas sans conséquence sur les rapports entre personnages, la haine entre les Chinois et les Japonais dans les années soixante étant toujours très marquée. Ici, c'est le souvenir de la Guerre qui est ravivé. Le souvenir des époques et des femmes est d'égale importance: c'est pourquoi il est suggéré à l'aide de merveilleuses mélodies, d'origine latine ou classique. Si l'obssession de Wong Kar-Wai est le souvenir, il nous sera impossible d'oublier son royaume des souvenirs perdus, symbiose de toute son oeuvre, cohérente et exigeante, qui n'est pas prête de s'éteindre, mais qui a trouvé son apothéose avec 2046.

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