samedi 7 novembre 2009

Inglourious Basterds de Quentin Tarantino

“Je crois bien que j’ai fait mon chef-d’oeuvre”... Ainsi se termine le septième long-métrage de Tarantino. La double-énonciation est de mise, évidente, elle a l’air d’un clin d’oeil, d’une mise en abîme du Cinéma. Les personnages regardent le spectateur, comme pour le rassurer des atrocités qu’il vient de voir et d’une Histoire fictive qui s’achève. Tout ceci n’était qu’un conte, qui commençait tout naturellement par “Il était une fois...” Rien d’alarmant dans les libertés prises avec les faits historiques, rien d’alarmant avec du David Bowie en 1944, rien d’alarmant avec Hitler défiguré par l’impact des balles d’une mitraillette... Il ne faut pas s’inquiéter, car tout ceci était une histoire. Quentin Tarantino apparaît comme un cinéaste cohérent, doté d’un sens aigu de l’Oeuvre qu’il conduit depuis 1992.... A l’origine, une histoire de vengeance; qui a trahi les braqueurs? Quel est le flic qui nous a donné? Cette histoire de vengeance perdure, onze ans plus tard, avec la Mariée, qui veut tuer Bill, celui qui lui a volé quatre ans de sa vie et sa petite fille. Le tournant de cette oeuvre parfaitement maîtrisée arrive avec un film injustement mésestimé: Boulevard de la Mort. Il fallait bien un boulevard pour celui qui se met à penser “sur” le Cinéma. Ici, la vengeance se fait plus universelle: le sexe faible se venge du sexe fort, les belles victimes se vengent de leur bourreau balafré. L’importance du support numérique qui bouleverse les rapports de force entre l’homme viril et la femme puérile. Avec ce brusque changement de support, c’est tout un pan du cinéma américain qui se voit affublé d’une antithèse: les faibles peuvent être forts s’ils s’unissent. Cette phrase sied parfaitement à l’ultime film du cinéaste. Elle donne un ton rationnel, logique, scientifique, mathématique à une histoire complètement fantasmée: huit hommes + deux femmes contre le IIIe Reich. Tout est joué dès le deuxième chapitre (Tarantino, dans sa logique du conte, divise son oeuvre en “chapitres”); le IIIe Reich tombera avant que les Américains ne foulent le sol de Normandie. En Juin 1944.
L’Histoire, telle que nous la connaissons, se résume aussi en chiffres: six millions de juifs exterminés, soixante millions de victimes au total, le “Guide” nazi et son bras droit se suicident à Berlin, le procès de Nuremberg laisse deux places vaquantes. Cependant, l’histoire qui nous est contée ici n’est pas la même: Hitler et Goebbels meurent assassinés à Paris. Malgré la violence, ce conte, s’il n’est pas destiné aux enfants, ne semble pas raconté par un adulte. Nulle conséquence ne sera dévoilée ici, car l’intérêt du film est ailleurs. Au diable l’Histoire, tout réside dans l’art le plus malicieux, celui qui permet la renaissance des êtres et leur imperméabilité au temps: le Cinéma. Filmer ceux que nous aimons ou admirons: bébé Lumière pour son père Louis, Lilian Gish pour Griffith, Edna Purviance pour Chaplin, Auguste Renoir pour son fils Jean, Hitler pour Riefenstahl, Shosanna pour son amant Marcel. Ainsi, c’est une seconde vie pour ces êtres qui deviennent des personnages. La perfide schizophrénie de celui qui est filmé est représentée par deux personnages présents à la projection finale à Paris: le soldat Zoller, peu fier de ses exploits filmés et remis en scène pour la propagande du régime nazi, et Shosanna elle-même, qui s’adresse au(x) spectateur(s) du Gamaar (où Pride of a Nation est projeté) et du cinéma dans lequel nous nous trouvons et où Inglorious Basterds est projeté. Même morts, ces deux personnages reviennent à la vie grâce à la pellicule, où le mensonge est imprimé vingt-quatre fois par seconde: on nous fait croire à la vie de personnes décédées. Il s’agit du second miracle filmé par Tarantino après les balles traversant les corps des deux tueurs de Pulp Fiction sans les toucher. Au fond, bien qu’Inglorious Basterds soit une mise en abyme du Cinéma, il est aussi une mise en abyme du miracle: la projection bousculée de Pride of a Nation permet la renaissance de deux corps ensanglantés, mais la projection du film de Tarantino offre à l’Humanité toute entière une seconde chance par le Cinéma sur l’Histoire; le révisionnisme apparaît comme un avantage non seulement pour les juifs, mais pour tous ceux qui portent en eux le maudit héritage du nazisme, la honte de l’impuissance face à la barbarie.

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