samedi 7 novembre 2009

L'Année du Dragon de Michael Cimino

Considéré comme un polar, L'Année du Dragon est visible à trois niveaux: le film noir, le western et le film expérimental. Le film noir pour ses codes et son intrigue tout d'abord; un policier désabusé, violent, viril, misogyne, le mythe Bogart transposé dans l'Amérique post-Vietnam, avec le chapeau, la cigarette et la barbe mal rasée...L'histoire, remplie de clichés, tous détournés, à l'image de la scène de ménage dans le couple: la femme reproche à son mari d'avoir oublié quelque chose...Une date très importante...Le spectateur croit savoir que White a oublié son anniversaire de mariage mais il n'en est rien: Connie, c'est son nom, lui en veut d'avoir oublié sa date d'ovulation. Le méchant, stéréotypé, est chinois: il est barbare, cruel, s'exprime dans sa langue natale (nous y reviendrons plus tard) lors d'élaborations machiavéliques, n'hésite pas à tuer en pleine rue, parle peu, sourit toujours...Là encore, les clichés sont détournés puisqu'il n'y a pas de réel héros dans ce film; il gravite autour du personnage de White pendant plus de deux heures, cela ne signifie pas qu'il est un héros. Les trafiquants de drogue sont certes plus radicaux dans leurs méthodes, mais la violence verbale expulsée par l'inspecteur, injuriant le peuple asiatique avant de prendre sa défense n'est-elle pas le symbole d'un profond malaise américain? Le syndromeTravis Bickle, le chauffeur de taxi de Scorsese, perdu dans ses repères, ne sachant plus qui est son ennemi, décidant finalement d'être seul contre tous. A cet égard, Stanley White est l'égal de Travis Bickle, c'est-à-dire, le anti-héros, faute d'avoir perdu une guerre, celle du Vietnam. Le film peut-être vu comme un second Inspecteur Harry, un western urbain, où les Indiens, autant dire les opprimés, seraient les Chinois, et les cow-boys, autant dire les conquérants, seraient les Américains. Mais qu'y-a-t-il à conquérir lorsque tout est géographiquement américain? Encore une fois, une perte de repères face aux idéaux du pays. L'Année du Dragon commence là où Il Etait Une Fois Dans l'Ouest s'achevait: la construction de l'Amérique, avec ses chemins de fers ensanglantés par les conditions de vie des travailleurs chinois, évoqués par l'inspecteur lors d'un dîner. Le chemin de fer représente une fraternité ironique entre les peuples et il aura une importance capitale dans le film, dans l'Histoire américaine, si tenté qu'il y en ait une, et dans son Cinéma: le manichéisme primaire date du western, près des voies ferrés, le chemin choisi est décisif: celui du Bon ou du Truand. Le long-métrage peut alors s'élever à un échelon supérieur, celui d'une révision du Cinéma américain. Les dialogues en chinois ne sont pas sous-titrés pour souligner l'importance des regards, des gestes, des attitudes et des rapports de force qui se dessinent. Le langage n'a pas d'importance et le réalisateur veut faire ressentir au spectateur l'incompréhension caractérisant les personnages du film. Le final, se déroulant sur un chemin de fer justement, est une réécriture du final de Taxi Driver: White porte le même blouson que Bickle, le même traumatisme (celui du Vietnam), il est blessé au cou tout comme lui, sa main est trouée par une balle alors que De Niro avait blessé un ennemi de la même manière. Là où L'Année du Dragon conclut Taxi Driver, mais aussi le processus enclenché par Nixon concernant le retrait des troupes américaines au Vietnam, c'est lorsque l'inspecteur offre à Joey Tai son arme, pour qu'il se suicide (Travis Bickle mime ce geste dans Taxi Driver): Cimino signe la fin du Vietnam, du Nouvel Hollywood dénonçant les horreurs de cette guerre, avec pour film pionnier le court-métrage The Big Shave de Scorsese et la réunification entre l'Est (la Chine, la journaliste) et l'Ouest (l'Amérique, Stanley White). Le Cinéma américain nous avait habitué à déceler les messages, souvent naïfs, en passant par la surface du film, c'est-à-dire par son intrigue ou par ses personnages. Ici, tout n'est qu'écho, ricochet, par rapport à un contexte. L'Année du Dragon est un film qui n'a rien en surface; tout est en profondeur.

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