dimanche 22 novembre 2009

Le Samouraï de Jean-Pierre Melville

Il y a quelque chose d'intriguant dans Le Samouraï, et plus précisément chez son personnage principal, Jef Costello: son art de la provocation et de l'interdit. Pour le spectateur, il devient l'homme que l'on comprend mais que l'on ne perçoit pas. Toujours surprenant dans sa manière d'opérer et de surgir à l'écran, il semble être le seul à maîtriser son image et ses actes. C'est pourquoi il devient aussi solitaire que le tigre dans la jungle...Sans aucune attache, aucun mot superflu, Jef est seul "contre" le spectateur, "contre" les autres protagonistes; chez sa maîtresse, dans les premières minutes du film, il ne peut la voir de face, il est donc dos à elle. Lorsqu'elle s'adresse à lui, son visage, de profil, se détourne d'une attache créée entre les yeux des deux amants: il n'y a donc pas de champ/contre-champ, mais des raccords sur le regard...A l'entrée du night-club, il laisse le moteur de sa voiture tourner, alors qu'il avait sa main sur le contact...Une fois entrés, les invités descendent des marches pour accéder au vestiaire. Ils sont de taille "humaine"...Néanmoins, dès lors que Jef arrive, son ombre, gigantesque, envahit le cadre durant une petite seconde. Nouvelle source d'inquiétude pour le spectateur, qui ne peut percevoir ce personnage. Pourtant, et c'est ici que le film devient grandiose, dès que le tueur a tué, cinq regards se posent sur lui, cinq personnes sont fatalement liées à lui grâce au son des coups de feu et au mouvement précipité du personnage. Il est perçu par des témoins. La perception devient obsessionnelle, la profondeur de champ est amoindrie dès lors que le Samouraï entre dans celui-ci. Cherchant à fuir les autres, il regarde hors-champ, sur le pont, ceux qui l'ont vu, dans les plans précédents. Le regard à la gauche du cadre n'est donc pas anodin sinon logiquement sublime. Jef est un personnage "de" cinéma: il vainc son statut de personnage cinématographique ancré dans une histoire pour se hisser au niveau du montage de Melville. Imperturbable, invincible, il perdra pourtant au jeu de l'amour et de la mort en revenant sur un lieu "déjà-vu": le night-club. Devant un témoin indirect du crime, Costello enfile ses gants de meurtrier puis s'avance vers le témoin-clé, la pianiste, qui le prévient pourtant, se faisant la porte-parole du spectateur: "Ne reste pas là." Tué sous le feu des policiers cachés au Martey's, il a l'air d'une victime. Pourtant, le revolver qu'il avait dégainé était déchargé. Nouveau pied de nez pour le spectateur, qui, alors que la caméra s'éloigne du décor mortuaire, repense certainement à la maxime du Samouraï: "Je ne perds jamais... Jamais vraiment." Costello s'offre le luxe de se "donner" la mort, il aura décidé de sa dernière réplique, de son dernier costume, de son dernier décor, de son dernier souffle. Il n'y en aura pas de deuxième.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire