samedi 7 novembre 2009

La Porte du Paradis de Michael Cimino

Film colossal réalisé juste après le triomphal Voyage au bout de l'enfer, La Porte du Paradis est le dernier film produit indépendamment par la United Artists, fondée en 1919. Il clame la fin du Western, accuse l'Amérique d'un nouveau génocide, et enterre malgré lui le Nouvel Hollywood, où l'auteur-réalisateur était le seul maître du film, devant le producteur. Michael Cimino obtient les pleins pouvoirs après les cinq Oscar remportés avec Voyage au bout de l'enfer. La United Artists voit là l'apogée de l'Auteur à Hollywood et décide de s'associer à ce nom désormais prestigieux. Seulement voilà, Cimino est un réalisateur prodige, certes, mais mégalomane et perfectionniste. Le budget devient de plus en plus important, dépassant les deux millions de dollars initialement prévus. Tout est axé dans la démesure, tant par le sujet, le discours adopté, la dramatisation, les décors, la figuration, la durée du film et du récit. Le sujet traite donc du génocide perpétré par les américains envers les polonais dans le Wyoming, à la fin du XIXe siècle. Même si il n'était pas question de massacrer tous les polonais présents en Amérique, le fait que le Président approuve cette démarche arbitraire agit en sa défaveur. Le malaise créé par ce long-métrage a certainement causé son échec commercial; pourtant, Cimino avait, deux ans auparavant, dénoncé les séquelles de la guerre du Viêtnam, avec un immense succès public...Etrange réaction. Il faudrait peut-être chercher ailleurs la cause de ce rejet américain. La longueur du film? Avec 220 heures de rushes, le réalisateur livre aux producteurs une première version de plus de cinq heures jamais sortie...Raccourcie à trois heures quarante (la version analysée ici), elle est aujourd'hui couramment répandue à une version de deux heures et demi, suite aux foudres attirées par la version de la première sortie. Il faut pourtant bien plus de trois heures pour traiter de cette histoire d'amour(s) fou(s), d'illusions perdues, de folie criminelle, de défections amicales et sentimentales et d'instants suspendus. Là où le temps semble ronger le physique et les éthiques de chacun (Averill, idéaliste à Harvard, bagarreur dans le Wyoming vingt ans plus tard ou encore la jeune femme du début que l'on retrouve laide et vieille dans l'ultime séquence), il ne prend pas prise lorsque deux regards se croisent; la première scène de danse du film est unique puisque le mouvement circulaire filmé circulairement donne l'impression d'être sur un manège, la profondeur de champ n'existe plus grâce à la longue focale et au statisme relatif des autres figurants n'ayant pas la même passion pour leur partenaire. La seconde scène de danse, dans leHeaven's Gate, filmée au rythme des violons, jouit de l'insouciance sur le futur. Tous les danseurs savent qu'ils sont condamnés par les éleveurs de bétail, mais leur enthousiasme à patiner avec un partenaire, dopé par celui de l'orchestre qui ne souhaite pas s'arrêter, dépasse la fatalité du temps et leur mort programmée. Le temps suspendu, filmé posément. Les danses, filmées comme les batailles, en cadrant plusieurs espaces dans une diégèse pour y créer l'Espace Virtuel tant chéri par Murnau. Certains plans du film sont parmi les plus beaux de l'Histoire du Cinéma, jamais la lumière, les ralentis ou le jeu sur les couleurs chaudes et froides n'avaient été autant exploités. Une dernière question reste en suspens: pourquoiLa Porte du Paradis clame-t-il la fin du Western? Il existe pourtant d'autres westerns après celui-là: Pale Rider, Impitoyable,Mort ou Vif, Open Range, Appaloosa et bien d'autres encore. Néanmoins, le fait d'étaler le récit sur une trentaine d'années de 1870 à 1903, de l'ancrer à Harvard, loin de l'Ouest sauvage, pour l'abandonner à Rhodes Island, sur un yatch, toujours loin de l'Ouest sauvage et de sa "conquête civilisatrice", tend à démontrer qu'avec l'histoire d'un homme, civilisé et instruit, contraint à devenir sauvage et abruti pour s'en sortir, avant de redevenir civilisé, c'est toute l'Histoire américaine de la fin du XIXe siècle qui est racontée puis enterrée, sitôt le dernier plan projeté.

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