samedi 7 novembre 2009

Une Journée Particulière d'Ettore Scola

Chef-d'oeuvre italien, Une Journée Particulière est d'actualité grâce à son titre, comportant un article indéfini. En effet, si le titre eut été La Journée Particulière, le film aurait été scellé dans le temps, dans l'Histoire de l'Italie et de l'Europe. Au contraire, l'emploi d'un article indéfini relève d'une distance certaine avec le 8 Mai 1938...Au fond, qu'est-ce que représente cette date? Davantage qu'une rencontre entre Il Duce et le Führer, il s'agit d'une unité du fascisme, de la barbarie et de la terreur. Scola réalise ce film durant les Années de Plomb, alors que l'extrême gauche et l'extrême droite se partagent les attentats meurtriers soutenus par deux idéologies radicalement opposées. Elles s'unissent dans leur mode d'expression: la terreur; de l'autre, de soi, du Destin, des médias et des politiques. Une Journée particulière se cantonne à la première et à la troisième forme de terreur exprimées ci-dessus. Eliminons tout d'abord les autres formes avant de plonger dans celles qui nourrissent le film...La peur de soi peut être éliminée bien que Gabriele veuille se suicider. Il semble éprouver un complexe dû à son homosexualité lorsqu'il repousse Antonietta sur le toit de l'immeuble, alors qu'elle faisait sécher son linge. Qui est-on? Gabriele se définit avec une phrase merveilleuse pleine de lucidité: Ce n'est pas le locataire du sixième étage qui est anti-fasciste, ce sont les fascistes qui sont anti-locataire du sixième étage...Les médias ne représentent pas une forme de terreur mais de propagande et de diffusion: la radio, que l'on entend quelques minutes dans le film, peut être réduite au silence grâce aux fenêtres, une fois qu'elles sont fermées. Quant aux politiques, bien que dangereux, ils n'exercent qu'une fascination pour les citoyens, et une peur certaine pour Gabriele. Cependant, les politiques ne sont qu'une matérialisation éphémère de cette terreur. Non, ce qui effraie le personnage, c'est bien l'isolement et le silence, lui qui offrait sa voix à la radio pour des millions d'Italiens. Il subsiste les terreurs présentes dans le film: celle de l'autre et du Destin. Ettore Scola ne choisit pas la neutralité de point de vue puisque la fiction (sitôt les dix premières minutes, constituées d'images d'archives) débute et s'achève sous le regard d'Antonietta. De plus, ce personnage soutient les théories fascistes et reste ainsi en conformité avec son pays. L'autre est donc Gabriele. Mastroianni invente une autre forme de jeu, aux côtés de celles de l'interprétation et de Louis Jouvet. Ce dernier affirmait qu'un acteur habitait un rôle (interprétation, où l'acteur cohabite avec son personnage) alors qu'un comédien était habité par son rôle (méthode Jouvet). Mastroianni cohabite virtuellement, pour le spectateur floué, avec son personnage. Son image d'homme viril italien, du bel homme respecté de tous, est effacée ici, où il incarne un homme fragile mis à l'écart par son entourage. Mais cette image ne se substitue pas à une autre. Il n'y en a qu'une, dès le premier plan où apparaît Gabriele et seule l'image fondée dans l'imaginaire collectif, celui des spectateurs, perturbe l'écran jusqu'à la révélation tardive de son homosexualité. Il est l'autre. L'homme regardé, épié, traqué, bousculé dans son Destin fait de liberté de parole et de pensée. Sa raison critique le pousse en dehors du troupeau, celui que l'on voit au début et à la fin du film, allant et puis revenant du discours. La terreur liée au Destin est alors envisageable, puisque le pays fonctionne par antagonisme, par élimination; le terme retenu par les historiens est: extermination. Eradiquer l'autre, celui qui pense et s'oppose, gardant pour lui l'humour, la sympathie, l'altruisme et la douceur. Le pays idéal pour Mussolini est contraire à celui de Gabriele: il ne resterait plus que le sérieux, la froideur, la misanthropie et la dureté. Au bout d'une heure-quarante, la bataille des idées est emportée par le fascisme: le philanthrope est emmené vers une destinantion inconnue, probablement un camp de concentration. Verlaine écrivait dans l'un de ses poèmes: L'espoir a fui, vaincu par le ciel noir. Le ciel noir qui s'abattait doucement sur l'Europe, menant à une remise en cause toujours actuelle de notre civilisation.

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