samedi 7 novembre 2009

La Soif du Mal d'Orson Welles

Avec moins d'un million de dollars, Welles tourne son film en cinq semaines. C'est bien son film, puisqu'à partir d'un récit classique, le réalisateur réussit à intégrer son style, le style wellsien; les contre-plongées sont très souvent utilisées, les mouvements de caméra aussi. Le chef opérateur Russell Metty effectue ici un travail formidable, le noir et blanc est parfaitement contrasté (il travailla sur La Splendeur des Amberson, Le Criminel, des modèles du genre), l'ambiance est donc crépusculaire, le film semble, lorsque Quinlan est dans le champ, pouvoir s'arrêter à tout moment, la fin est ici une fatalité et le personnage incarné, habité par Orson Welles, nous paraît instable...Matériellement, cela se traduit par une canne, que le policier porte suite à une balle qu'il reçut et qui le fait boiter...Cette balle est le symbole d'un échec, celui d'une vie familiale puis professionnelle (la femme de Quinlan fut étranglée)...Les mouvements de caméras sont également très nombreux, à l'image de l'impressionnant plan-séquence lors de l'arrestation du suspect. Vous pensiez que j'allais évoquer le premier plan-séquence du film, il est mythique mais celui évoqué au-dessus mérite selon moi davantage de louanges puisqu'il n'est logiquement pas nécessaire; des inserts et un montage assez développé auraient été le bienvenue...Mais Welles considère que cette séquence peut bénéficier d'une opposition: les protagonistes qui semblent être enfermés, bloqués, statiques, contre la caméra, mobile, libre plus que jamais. Le terme que Jean Douchet avait utilisé pour décrire Eyes Wide Shut de Kubrick me semble ici approprié...Toute ombre est porteuse de lumière; en effet, Quinlan est vêtu de blanc alors que les autres personnages, moins corrompus que lui, sont en noir, comme pour porter le deuil de la mort du policier...Le destin est à nouveau mis à contribution. Mais ce n'est pas tout: lorsque Welles va voir la sublime Tanya (sublime Marlène Dietrich devrais-je dire), il lui demande de lui annoncer son futur...La réponse sera décisive: Tu n'as pas de futur. Le personnage de Quinlan, qui devait être secondaire, devient central et essentiel quant à l'issue du long-métrage. Les ombres que sont Vargas ou Menzies tentent de s'extirper de leur état d'ombre en faisant la lumière sur le passé de Quinlan et, par la même occasion, sur leur présent à eux. Au final, La Soif du Mal peut être considéré comme étant l'équivalent cinématographique du roman d'apprentissage avec un novice, Charlton Heston, mais surtout un maître, Orson Welles.

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