vendredi 27 novembre 2009

Vincere de Marco Bellocchio

En accumulant les audaces, tantôt maladroites, tantôt subtiles, Bellocchio signe un film bancal, supporté par une interprétation et un scénario exceptionnels. Le cinéaste tente, un peu vainement, de réaliser son Une femme est une femme, en confondant la chant de la parole et la musique comme vecteur de l'émotion. Là où Godard était surprenant, Bellocchio ne semble pas convaincu par son envie de réaliser un "opéra cinématographique". Les musiques ont beau être tonitruantes, elles ne sont que l'écho d'un projet pas assez soutenu par son créateur. Surprenant de la part du réalisateur du Diable au corps, qui avait provoqué un scandale avec une scène de sexe non-simulée dans un film dit "traditionnel". Le sexe justement, parlons-en. D'emblée le personnage de Mussolini semble viril, entreprenant et combatif. Au contraire de sa compagne Ida Dalser, plus admirative qu'autre chose. Et pourtant, Vincere prendra un virage étonnant et détonnant. C'est en effet la femme contemplative qui se montrera la plus forte. Vincere per la forza dell'amore, telle pourrait être la devise d'Ida, véritable héroïne d'un cinéma en pleine rupture aujourd'hui, où la femme n'est plus passive et reléguée au second plan. Pour faire simple, nous sommes passés de la Tracy Lord de The Philadelphia Story à la Mariée de Kill Bill, de la Honey Rider de Dr. No à la Vesper Lynd de Casino Royale, de la Mary de La Foule à la Ida de Vincere. La lutte des sexes n'existe pas au cinéma, seules leurs images représentatives se cherchent, se croisent et se dépassent. Tel est le cas ici, et ce phénomène semble donc de plus en plus récurrent dans le cinéma d'aujourd'hui; à force, il deviendra une tradition: celle de la femme combative, tradition entamée par Bresson avec Les Dames du bois de Boulogne en 1945.
Ce qui est également sidérant dans Vincere, ce sont ces instants de grâce, figés à jamais dans la tête du spectateur. Des images "d'une belle simplicité, ou d'une simple beauté" pour paraphraser Godard. Bellocchio est un véritable esthète, ses influences sont diverses; comment ne pas penser au Héros très discret d'Audiard, avec ces plans d'abstraction présentant le jeune héros faisant sa gymnastique- véritables anaphores qui guident le récit-, lorsque l'on voit Isa ou ses camarades d'infortune, le visage brisé, sanguinolent et éclairé par des flashs d'appareils photos? Si Vincere n'est pas un opéra, il est au moins un ballet malicieux, où le champ et le hors-champ signifient l'existence diégétique, mais surtout la volonté, pour les femmes de l'asile ou le crâne humain sur la table, d'être vu et de ne pas se faire prendre. Ainsi se jaugent les rapports de force, entre le vivant et le mort, le concret et l'abstrait, le fictif et l'historique. L'image de Mussolini nu à la fenêtre de sa chambre, raccordée à des plans de foule réelle, prouve que le cinéma reste, davantage que les peintures de Dali, les compositions de Satie ou les livres de Kafka, le médium absolu de la spiritualité. Le seul capable de rendre homogène des espaces, des époques, des réalités et des fantasmes que rien ne pourrait relier sans la pensée.
Enfin, les hommages au Cinéma sont très appréciables puisque relativement subtils. Une réécriture d'une séquence de The Kid de Chaplin, montrée plus tard dans le film (l'hommage est fulgurant et si terriblement sincère qu'il fait penser à Sciuscia de De Sica ou aux Quatre Cents Coups de Truffaut, qui montraient également l'influence que pouvait avoir l'art cinématographique sur la vie), et un regard-caméra similaire à celui de Monika: Isa dit sans parler, suggère sans montrer, tout passe par les yeux, l'âme d'un être, ici meurtri par une trahison. Ce n'est donc pas un hasard si les femmes de l'asile sursautent lorsque Isa reprend connaissance dans son lit en ouvrant les yeux. Elles ne craignent pas la femme mais ont lu dans ses yeux sa souffrance. C'est l'occasion pour Bellocchio de rendre hommage au corps au cinéma, cet art considéré à juste titre comme celui du voyeurisme. Par une inexplicable alchimie, la nudité n'a absolument rien d'obscène. Mieux, elle est aussi naturelle que celle des pêcheurs de perles de Bora-Bora dans le Tabou de Murnau et Flaherty, deux cinéastes de la peau et de la nature. C'est surtout l'élégance et l'innocence liée à cette nudité qui rend plus pur encore le regard porté sur un corps dévêtu que dans le réel. Si l'on fait abstraction de ses naïves maladresses, Vincere fait partie de ces rares oeuvres qui éradiquent toute sensation de culpabilité du regard par la nature des corps et des esprits: ces oeuvres nobles qui rappellent au spectateur que les personnages, au delà de leur histoire romancée, respirent et pensent, agissent et se trompent, tout comme nous.

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